En pleine mer où je suis né

Une résidence de transmission en milieu insulaire de Clément Chapillon

En 2023, alors que Clément Chapillon présentait Les rochers fauves dans nos murs à Lorient, quelque chose s’est ouvert — comme un écho entre ses images d’Amorgos et notre fidélité aux terres entourées d’eau. En pleine mer où je suis né s’est alors esquissé naturellement, dans le prolongement de ses recherches sur l’iléité, porté par ce désir commun d’interroger ce que signifie grandir, vivre, se souvenir d’une île. Groix, dès lors, s’est imposée comme une évidence.  

Groix ne se raconte pas par une simple traversée.
Elle murmure à ceux qui prennent le temps d’y marcher, lentement, au rythme du vent et des marées. Elle est silence et ressac. Elle est ce lieu suspendu entre ciel et mer, où le temps ne passe pas mais s’accumule — en couches de vent, de souvenirs et de légendes.

Les enfants y avancent comme dans un conte, chacun de leurs pas invente un monde, chaque détour devient promesse. Leur regard est neuf, mais leur jeu se nourrit de ce qui fut. Car ici, les récits ne s’effacent jamais vraiment — ils se dissimulent dans les plis du granit et s’accrochent aux lèvres comme le sel des embruns. 

Les résidents de l’EHPAD Ty Laouen, Jo Le Port, n’ont pas seulement transmis des souvenirs : ils ont offert des fragments de l’île que seuls les cœurs anciens savent lire. Ils ont parlé avec des mots polis par le sel, contant des histoires qui ont résisté à l’oubli.

Et les enfants, eux, ont répondu par leur propre langue : celle de l’imagination, des images fragmentées et dispersées, des instants saisis avant que la marée ne les emporte, laissant là un sable neuf où tout réinventer.

Il faut parfois l’enfance pour dévoiler ce que l’habitude efface.
Il faut parfois la mémoire pour ancrer l’instant dans une continuité plus vaste.

Depuis ses origines, Le Lieu de la Photographie explore les rivages. Travailler sur les îles n’est pas un hasard, mais un geste fondateur ; celui de choisir des territoires où l’horizon façonne les regards, de tisser des liens là où l’isolement pourrait s’installer. Car la photographie n’est pas pour nous un simple médium —  elle est une langue de l’attention, une manière d’habiter le monde avec délicatesse.

Porter et donner à voir ces récits insulaires, c’est inscrire notre action dans l’écoute, dans la transmission, dans ce fil invisible qui relie les vivants à leur terre, et les images aux histoires qui les précèdent. À travers la photographie, ce projet mené par Clément Chapillon entre 2024 et 2025, et porté par Le Lieu de la Photographie a tenté d’esquisser ce que Romain Rolland appelait le sentiment océanique. Reste de cette traversée un fil tissé entre les générations, des images imprégnées de bleu, de granit et de mémoire, et peut-être, au creux de chacune, le murmure d’un mystère que seule une île peut encore offrir.

© Clément Chapillon

Ce projet a reçu le soutien du réseau Diagonal dans le cadre du programme Entre les images, de Fondalor, de Bistrot Bao, de la Compagnie Océane, et a reçu la labellisation La vie devant soi de l’ADAGP.

« Pour des jambes d’enfant, le rivage c’est toujours un peu loin. Et puis chaque étape est un jeu, une occasion de se cacher, une branche qui devient une épée, un rocher à escalader. Les enfants regardent le monde avec le microscope de leurs désirs.

La limite ce n’est pas non plus l’horizon. Tout change si vite, les nuages, les couleurs du soir et celles du matin, la pluie aussi comme une grande herse grise qui vient sans se soucier des hommes.

Une île pour les enfants, ce sont les visages que l’on connait, des rencontres sans crainte, des noms précis qui disent chaque personne et presque son histoire et des mots qui désignent chaque recoin de leurs parcours.
Une île c’est un univers bien à sa place. Un lieu sûr d’où l’on peut regarder venir les vents avec leur bagages de feuilles et mesurer l’obstination de l’eau à user le rocher.

Les enfants d’une île éprouvent très tôt ce mélange d’évidences et d’énigmes et le but de notre travail a été de leur permettre d’interroger cet ordinaire que l’on sait sans trop le voir. De le regarder autrement puisqu’une photo n’est après tout qu’un monde que chacun met en morceau au gré de ses goûts et de sa mémoire.

Nous avons arpenté l’île de Groix, en suivant l’imagination de l’enfance, les récits des anciens et ce que les archives disent d’une plus vaste histoire. L’insularité rend solidaire, elle rapproche l’Ephad et l’école et les voix des enfants parlent toujours des récits des anciens. Quelques photos et un travail collectif, pour dire simplement les âges, les visages, les rivages et les multiples façons dont l’histoire se mêle aux légendes Bretonnes. Des parcours d’enfance, pour comprendre comment une île façonne des existences. »

Yannick Jaffré
Anthropologue, Directeur de Recherche au CNRS

Le journal

48 pages
26x37cm
papier 60g
100 exemplaires

La restitution à Groix

Exposition à la Salle Ty Canot, projection du film au Cinéma des familles et restitution à l’EHPAD Ty Laouen